CLANCY AUSTEN | Here Comes The Man

Chaque année, tous les habitants de l'île reçoivent dans leurs boîtes aux lettres un courrier venant directement du bureau des dirigeants d'oxymore. Ils y trouvent, simplement, un formulaire truffé de questions indiscrètes sur leur passé ainsi que sur leur existence actuelle, chacune savamment posée pour vérifier que ce sont des individus inoffensifs.
Ainsi, vous devez répondre à cet interrogatoire en tentant d'être le plus honnête et explicite possible. Nous comptons sur vous pour développer vos réponses.

• bonjour, mademoiselle, madame, monsieur. Nous sommes bien entendu heureux de la population de notre île mais voulons en savoir plus sur celle-ci, comme à toutes les années. Tout d'abord, qu'est ce qui vous a poussé à venir vous installer à Oxymore ou à y rester?

Pourquoi je reste sur cette île ? Pour elle. Pour lui. Pour eux. Pour moi. Le paysage également mais c'est secondaire. Mon passé qui m'y rattache. Ma famille, ou tout du moins un partie de celle-ci.

Qui c'est, elle ? Le petit bout de femme le plus étonnant qui soit sur Terre. Une brindille au tempéramenent de feu. Une tête à claque comme j'en ai jamais vu. Un boule d'énergie que vous ne pouvez arrêter. Vous l'avez peut-être reconnue si vous l'avez déjà croisée, Alen Burton. Elle c'est mon rayon de soleil, ma moitié, mon tout même. Sans elle je ne tourne pas rond, je ne tourne pas du tout en fait. 'L'un ne va pas sans l'autre, et l'autre ne va pas sans l'un.' dit-on de nous. Et il est vrai qu'on nous trouve rarement séparés. Je la connais depuis des lustres et la considère comme ma soeur. Elle n'est pas ma chair ni mon sang mais elle est un morceau de mon âme, et c'est d'autant plus précieux. Il me serait donc impensable de quitter l'île sans elle.

Lui c'est mon meilleur ami. Mon frère. Comme Alen il n'a peut-être pas le même sang dans les veines mais nos liens sont encore plus forts. On a fait les 400 coups ensemble, rendus nos parents fous. On s'est toujours soutenus. Il était là au décès de mon père, il a veillé sur ma soeur quand je n'étais pas capable de le faire et pour cela je lui serai éternellement reconnaissant.

• avez-vous déjà eu quelques problèmes avec la justice, lors de votre enfance, adolescence, ou plus récemment? Ou bien êtes-vous blanc comme neige? Ne vous inquiétez pas, rien de ce que vous écrirez ici ne se retournera contre vous.

Des ennuis avec la justice ? M'enfin ce n'est pas mon genre vous vous en doutez bien. Mon casier judiciaire est aussi vierge que l'est Britney Spears... Ah ? Elle ne l'est plus depuis longtemps ? Etonnant ! Bien, vous le savez déjà alors à quoi bon me vautrer encore dans le mensonge. Evidemment j'ai eu à faire à la justice durant mon adolescence. Vols à l'étalage, bagares en sortie de boîte, excès de vitesse, conduite en état d'ivresse, insulte à agent. J'en passe et des meilleurs. Non je ne suis pas l'enfant de coeur que vous pensiez, ni le gendre idéal. Mais à quoi bon vivre si on ne profite pas un minimum de la vie ? Attention, tout en restant dans les limites du raisonnable évidemment. Le raisonnable étant une notion toute personnelle à chacun...

• avez-vous déjà regretté cet exil sur l'île, avez-vous déjà envié l'existence banale des autres individus de cette planète?

Envier une existence banale ? Si vous me posez la question c'est bien que vous ne me connaissez pas. Quel est l'intérêt de mener une vie rangée et sans surprise ? Non vraiment je suis heureux de vivre sur cette île et pour rien au monde je ne regrette d'y être resté. La litanie "métro-boulot-dodo" très peu pour moi. La vie est faite d'imprévus, d'erreurs. Votre chemin, parsemé d'embûches. Vous tombez pour mieux vous relever. Je n'ai pas honte de mes cicatrices, ni de mes faux pas, ils font de moi l'homme que je suis aujourd'hui. Vous ne trouvez peut-être pas les habitants de cette île assez "stéréotypés" mais moi je les aime comme ils sont. Ils font le charme de ce lieu, ils en sont l'âme. Ils mènent leur vie comme bon leur semble sans se soucier de l'avis ou du regard extérieur. C'est cette existence que je veux mener jusqu'à ma mort et rien ne me fera changer d'avis.

• Quel a été le plus bel instant de votre existence?

Une nuit d'orage peu après la mort de mon père. Ma mère était, comme tous les jours, enfermée dans sa chambre, refusant tous repas et toute visites. Ma soeur avait foutu le camp avec un nouveau mec toujours plus stupide que celui de la veille. Je me suis retrouvé seul dans cette maison vide et silencieuse, cherchant la présence réconfortante de mon père. J'ai craqué, pour la première fois depuis sa mort je me suis effondré. J'ai claqué la porte couru quelques mètres dans la rue et suis tombé à genoux sur le béton. Le souffle me manquait, les larmes inondaient mes joues, rapidement rejointes par les gouttes de pluies qui s'écrasèrent sur moi alors que le tonnerre éclatait. Vous vous demandez sans doute en quoi cet instant fut le plus beau de mon existence ? Je vais vous le dire... Cette nuit là restera gravée en moi parce qu'alors que je n'avais appelé personne au secours, des bras m'ont enveloppé. De petits bras maigrelets et faibles qui ne parvinrent même pas à faire le tour de mon corps musclé. Il ne me fut pas utile de me retourner pour savoir qui avait volé à ma rescousse. Son parfum était là, sa peau douce contre ma joue. Puis sa voix, dans un murmure, m'assurant que tout irait bien, que tous les deux nous parviendrions à surmonter cela. Qu'elle serait là, n'importe où, n'importe quand, comme à ce moment précis. Qu'elle serait là pour m'empêcher de sombrer plus profondément. Ce murmure au creux de mon oreille, ces promesses. Je touchais le fond, j'étais désespéré, j'avais perdu mon père, mon ancre, mon roc, mais elle est arrivée, elle était là, et je cru tout ce qu'elle me dit ce soir là. Et je la crois encore aujourd'hui. Parce qu'elle est mon morceau d'âme, ma perle rare, mon ange gardien. Parce que même si elle est loin d'être la fille parfaite aux yeux des gens elle est pour moi l'être le plus pure qu'il soit.

Cette nuit là est donc le plus bel instant de ma vie. Car c'est cette nuit là qu'Alen Burton m'a sauvé.

• Comme tous les autres habitants, vous faites parti, bien évidemment, d'un milieu aisé. Mais alors, comment le vivez-vous? Jouissez-vous pleinement de votre richesse ou préférez-vous laisser celle-ci de coté et profiter de la vie en toute simplicité?

Il n'y pas vraiment de bonne réponse à cette question. Certes je ne dépense pas mon argent dans des choses inutiles, simplement bonnes à étaler sa richesse aux yeux du monde. Certes je ne cavale pas avec une rolex au poignet dans mon cabriolet flambant neuf. Je ne serais pourtant pas prétentieux au point de prétendre cracher sur l'argent que je possède. Il est aisé d'avoir des ressources, j'en suis conscient et de cette manière je sais en user à bon escient. Je profite surtout de cette chance pour vivre à fond et ne me priver de rien. Pour autant je ne dépense pas à tour de bras. Il m’arrive de faire quelques dépenses inutiles, mais n’oubliez pas que je n’ai que vingt trois ans…

• Quelles sont vos affinités avec les autres habitants de l'île ? À votre arrivée, avez-vous bien réussi à vous intégrer ? De manière général, nous devons savoir si vous êtes une personne facile à vivre qui ne nuira pas à Oxymore, mais nous ne nous inquiétons guère.

Je n’ai pas vraiment eu à m’intégrer à l’île puisque j’y suis né. Mes affinités avec les autres habitants sont comme celle de n’importe quel habitant de n’importe quelle ville. Je m’entend avec certains, avec d’autres un peu moins. Tout est une question de caractère, et on vous dira sûrement que le mien n’est pas des plus facile. Quelle importance, je n’ai pas besoin de m’entendre avec la Terre entière, seulement avec ceux qui me font du bien, ce qui est parfois difficile. On peut dire que j’ai été un garçon populaire au lycée oui, mon physique aidant j’étais la coqueluche des filles, pourquoi mentir ? Pourtant je ne considère pas cela comme une preuve de réussite sociale. S’inquiéter de moi ? Je ne pense pas ; Je ne suis pas un ange mais je ne ferai pas de mal volontairement. Excepté si l’on s’en prend à ceux que j’aime, dans ce cas vous êtes prévenus, je ne réponds plus de rien.

• Pour finir, comment vous imaginez-vous dans une dizaine d'années ? Oxymore sera-t-il votre futur ? Avez-vous des projets, des rêves qui vous tiennent à coeur et que vous aimeriez réaliser ? Et qu'espérez-vous devenir ?

A quoi bon se projeter si loin ? Le présent ne vous suffit-il donc pas ? Je n’ai guère besoin de penser à mon avenir. Vivre au jour le jour m’a pour le moment plutôt bien réussi et je ne compte pas changer de mode de vie pendant un bout de temps. Des rêves ? J’en ai plein la tête mais ce ne sont pas des choses que l’on partage avec un inconnu. J’ai toujours eu cette impression que je mourrai jeune, allez savoir pourquoi. Ca ne m’effraie pas. Brûler la vie par les deux bouts, voilà ma devise. Certains vous parleront du fameux dicton « carpe diem » et c’est un peu cette philosophie que j’applique au quotidien. Qui vivra verra…